Interview de Claire Davienne, élue, co-référente de la commission Gouvernance et Communication Interne.
– Peux-tu nous dire en quelques mots ce qu’est la démocratie participative et une liste citoyenne ?
J’aime cette définition : « La démocratie participative désigne l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent de favoriser l’implication des citoyens dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision ».
Et « une liste citoyenne » telle qu’on l’a créée à Vaour, c’est une équipe mêlant élu.e.s et citoyen.ne.s qui tentent de mettre en place une gouvernance partagée, la plus horizontale possible, au service de la construction d’une démocratie vivante. L’objectif c’est de « replacer l’habitant au cœur des décisions politiques, au service d’un bien-vivre-ensemble respectueux de l’humain et de son environnement. »
Cela tente de répondre à deux dérives majeures du fonctionnement classique d’une municipalité : l’accaparement du pouvoir par quelques élu.e.s et la faible implication des habitants dans la vie de la commune.
Au quotidien, cela ne peut pas être : tout le monde décide de tout, tout le temps… En tant qu’équipe, on a pris le temps de se former avec Tristan Rechid, qui avait participé à l’aventure citoyenne à la mairie de Saillans dans la Drôme (première liste citoyenne en France). A cette occasion il nous disait : « Il faut accepter et assumer des endroits de verticalité dans l’horizontalité, et le fait que des personnes qui ont été désignées peuvent avoir un périmètre de décision autonome. »
– Comment avez-vous avancé sur cette question ?
En fait, tout ce qui concerne notre cadre et nos règles pour permettre la mise en place de ce projet s’est fait en travaillant un « Schéma de Gouvernance » (sur les conseils de Tristan Rechid). C’est un document de référence, définissant les principes de base pour arriver à un fonctionnement fluide, efficace et démocratique.
En effet, décider collectivement cela peut parfois être fastidieux et compliqué. Or, on ne peut pas passer tout notre temps à essayer de se mettre d’accord sans qu’aucune décision ne voit le jour et sans qu’aucun projet ne puisse se réaliser… Le cadre et les règles que nous mettons en place nous aident à atteindre une certaine efficacité dans nos prises de décision.
Avant d’avoir ce Schéma de Gouvernance, on se demandait en permanence si on était légitimes à faire telle ou telle chose. On n’osait pas faire certaines choses parce qu’on pouvait avoir peur de faire une « prise de pouvoir » sur le groupe… Et le fait de nommer des référents avec des engagements précis (une durée de mandat, un périmètre de décision…), cela les rend légitimes, et finalement cela permet de libérer de l’énergie. A partir de la connaissance de qui fait quoi, on a pu renforcer des relations dans la confiance.
Pour bâtir ce Schéma de Gouvernance, on s’est inspirés de ce qui s’était fait dans d’autres endroits en France, de formations à la démocratie participative que plusieurs d’entre nous avaient suivies, et de la formation en interne dont nous avons bénéficié avec Tristan Rechid de Saillans.
A l’issue d’un travail qui a duré plusieurs mois, la commission Gouvernance a fait des propositions au Groupe de Coordination. Puis, avec la prise de décision au « consentement », nous avons pris le temps de lever toutes les objections qui pouvaient exister, adapter les propositions jusqu’à ce que chacun.e valide le schéma en disant : je suis OK pour ce fonctionnement.
- Pour consulter le Schéma de Gouvernance en ligne : https://www.vaour.fr/gouvernance/PresentationSchemaGouvernance.pdf
– Peux-tu nous en dire plus sur cette idée de « consentement » ?
Un des principes de notre fonctionnement, c’est que l’on prend toutes nos décisions au consentement. C’est-à-dire que si quelqu’un.e n’est pas d’accord, il/elle formule une objection qu’on cherche à lever collectivement, par de nouvelles propositions plus ajustées, plus fines, jusqu’à atteindre une décision qui sera acceptable par toutes et tous et donc à laquelle chacun.e « consent ».
– Au cœur du fonctionnement du groupe, il y a donc le Groupe de Coordination ? Peux-tu nous en dire plus ?
Pour comprendre comment ce groupe s’est créé, il faut revenir au début de cette aventure avec la liste citoyenne. Plusieurs personnes étaient prêtes à s’engager et à travailler de façon assez importante dans cette équipe municipale mais ne souhaitaient pas forcément mettre leur nom sur la liste pour l’élection pour diverses raisons personnelles. D’autres étaient d’accord pour avoir leur nom sur la liste tout en étant conscients que leur temps d’engagement serait plus limité. Assez vite, on s’est rendu compte qu’on était un groupe de vingt personnes prêtes à s’engager à des niveaux différents.
C’est là qu’est venue l’idée de créer ce Groupe de Coordination qui mélange des élu.e.s et des non élu.e.s. Ce groupe correspond aujourd’hui à une sorte de « Conseil municipal élargi ».
Actuellement il comporte 19 membres : 11 élu.e.s et 8 personnes non élu.e.s qui sont d’accord pour travailler au même titre que s’ils étaient conseillers municipaux. On s’est dit que c’était une grande chance de pouvoir bénéficier de toutes les forces en présence et que cela permettrait une meilleure répartition du travail. C’est parfois fastidieux de décider à aussi nombreux, mais grâce à notre Schéma de Gouvernance, on a vraiment progressé dans la prise de décision. Au quotidien, on s’aperçoit que l’avis des un.e.s et des autres affine les prises de décisions, car chacun.e apporte son regard, son expertise et sa compréhension des problématiques.
Il nous a très vite semblé évident que les personnes « décisionnaires » devaient être également les personnes « engagées sur la durée avec une responsabilité » dans cette aventure , c’est-à-dire ceux qui sont référent.e.s d’une commission.
On a donc défini dans ce Schéma de Gouvernance que celles et ceux qui siègeraient au Groupe de Coordination seraient :
– les 11 élu.e.s pour la totalité de leur mandat (6 ans)
– les référent.e.s des commissions – 2 en binôme (élu.e.s et non élu.e.s pour un mandat d’un an renouvelable).
– les animateurs et les secrétaires du groupe (mandats de 6 mois renouvelables).
Il y a actuellement 9 commissions et dans chaque commission, il y a 2 référents qui peuvent être élu.e.s ou non.
– Comment se renouvellent ces référents de commissions ?
Chaque année, la commission Gouvernance, dont je fais partie, revient vers les référents pour leur demander : Est-ce ce que vous souhaitez poursuivre votre mandat ? Est-ce que quelqu’un.e d’autre dans votre commission souhaite prendre cette responsabilité et donc intégrer le Groupe de Coordination ?
En sachant qu’on a défini qu’il fallait avoir participé pendant au moins un an au travail d’une commission avant de pouvoir en devenir référent, tout habitant ayant intégré une commission et qui au bout d’un an souhaite devenir référent de la commission peut en faire la demande. Ce choix se fait collectivement au sein de la commission. Le ou la nouvelle référente intègre alors le Groupe de Coordination.
Les membres du Groupe de Coordination essaient de faire remonter ce qui se dit dans les commissions. Il y a un lien vivant entre les commissions et le Groupe de Coordination.
7 commissions sont ouvertes à tous les habitants ! N’hésitez donc pas à contacter les référents de ces commissions pour en savoir plus sur leur travail ou les rejoindre ! Vous trouverez le contact de chacun d’entre eux dans une feuille glissée dans ces Echos.
– A quel rythme se retrouve le Groupe de Coordination ?
Il se réunit au minimum une fois toutes les deux semaines, et plus si besoin.
– Ces réunions sont-elles ouvertes à toutes et tous ?
Oui, des personnes extérieures au groupe peuvent venir en observation aux réunions en se signalant à l’avance.
Par ailleurs, les compte rendus sont rendus publics (sur les panneaux d’affichage, à la mairie dans un classeur en version papier, et sur le site www.vaour.fr). On affiche aussi les dates et horaires des réunions des commissions sur le panneau devant la mairie.
– Peux-tu nous préciser l’articulation entre le Conseil municipal, le Groupe Opérationnel et Groupe de Coordination ?
On a senti ensemble, au fur et à mesure, quel genre de sujets devait être soumis à la validation du Groupe de Coordination. Ce sont les points plus sensibles, plus engageants pour le village, les projets plus vastes, avec plus d’enjeux pour l’avenir,…
Le Groupe de Coordination est l’organe central de notre fonctionnement. C’est ici que sont centralisées les informations et où les décisions importantes sont prises.
Après, au niveau légal, un certain nombre de décisions, notamment administratives, sont soumises au vote du Conseil municipal. Notre principe est que ces décisions sont validées en Groupe de Coordination au consentement, puis votées par le Conseil municipal. Ce dernier ne se réunit pas à date fixe, mais quand il est nécessaire.
Enfin, ce qui relève des affaires courantes et quotidiennes et qui n’a pas besoin d’expertise élargie est décidé par le Groupe Opérationnel. Celui-ci est composé du maire, des adjoints et de la secrétaire de mairie, qui sont plus au jour le jour à la mairie. Ils se retrouvent toutes les semaines à horaire fixe et ont beaucoup d’échanges quotidiens. Certains membres du Groupe de Coordination participent à tour de rôle au groupe opérationnel pour s’imprégner du quotidien de la mairie.
Depuis un peu moins d’un an nous avons aussi mis en place l’Observatoire de la Démocratie et de la Participation.
Avec 7 membres, il s’inscrit dans la démarche de démocratie participative. L’Observatoire ne se prononce pas sur les choix, les projets et dossiers traités par la municipalité. Il se prononce sur la méthode et plus précisément sur la démarche participative et donc démocratique de la municipalité. Son rôle est encore en train de s’affiner.
– Comment se déroule une réunion du Groupe de Coordination ?
On a un ordre du jour collaboratif en ligne, que chaque membre du groupe de coordination peut alimenter à n’importe quel moment, en prévision de la prochaine réunion avec les points qu’il ou elle souhaite traiter. Pour aller à l’essentiel, on classe en début de réunion, ces points en trois catégories :
- les informations : qui ne nécessitent pas de discussion.
- les consultations : où on discute sans prendre de décision ce jour là.
- les décisions : où on espère qu’une décision sera prise pendant la réunion, même si parfois on se rend compte que la prise de décision n’est pas mûre et on la reporte à une prochaine réunion.
Puis, on traite les points en prenant les décisions au consentement.
– Peux-tu nous préciser le rôle de ta commission, Gouvernance et Communication Interne ?
Notre commission Gouvernance est garante que le Schéma de Gouvernance soit respecté. On essaie aussi de faire le suivi du partage des comptes-rendus. Dès qu’on sent qu’il y a des incompréhensions ou des conflits, on cherche à ouvrir des espaces d’écoute et de dialogue. On incite chaque membre du Groupe de Coordination à travailler en binôme pour qu’il y ait plus de partage d’informations et de travail. On propose aussi aux membres du Groupe de Coordination des temps de formation, de bilan et des moments de respiration pour nourrir la vie de groupe. Pour que le lien et la confiance puissent continuer à se renforcer.
A travers ce projet municipal, nous sommes engagés dans une aventure humaine qui nous pousse à travailler sur nous-mêmes, à nous remettre en cause… parce que si on veut avancer ensemble en prenant chacun.e en compte, on est obligé de passer par des moments où l’on peut être bousculé par les attitudes des uns et des autres. C’est vraiment un lieu de transformation personnel et collectif !
Pendant les temps de bilan, nous proposons de prendre un peu de recul, parfois de manière ludique. C’est important que chacun.e puisse grandir à travers cette aventure collective, que chacun.e y trouve son compte et puisse donner le meilleur de lui-même.
Globalement, ce groupe est vivant et dynamique, même si le travail est permanent. Composé de personnes différentes, de tous âges, hommes, femmes, certain.e.s qui habitent le village depuis 30 ou 40 ans, d’autres depuis 2 ans. Régulièrement on se redit que c’est bien cette diversité et ce nombre qui permet de tenter d’être pertinents !
La commission Gouvernance est aussi très attentive à la manière dont nous continuons de récolter les avis d’un maximum d’habitants du village. Nous avons relancé la première Assemblée Citoyenne en avril dernier.
– Autre chose à ajouter ?
Oui, pour synthétiser les principes et les façons de faire qui vont nous permettre de vivre ce projet, nous avons consigné nos valeurs dans une Charte. Celle-ci définit les principes relationnels qui nous permettent de travailler au mieux ensemble.
Cette Charte a été signée par tous les membres du Groupe de Coordination et elle est portée à la connaissance de toutes celles et ceux qui participent au travail d’une commission.
Cette Charte nous sert aussi de référence de base en cas de conflit interne au groupe.
Si une personne du Groupe de Coordination ou d’une commission a un comportement qui est trop éloigné de la Charte, on peut lui demander collectivement de sortir du groupe.
→ Pour consulter la Charte en ligne :
https://vaour.fr/charte-groupe-de-coordination-vaour
– Enfin, pourrais-tu nous dire pourquoi à titre personnel tu participes à cette aventure municipale ?
Parce que je suis passionnée par la recherche de nouvelles façons de faire ensemble grâce à l’intelligence collective !
Cela fait écho à la définition de la démocratie participative dont je parlais au début.
Nous sommes encore dans une société patriarcale, hiérarchisée, où les un.e.s exercent le pouvoir sur les autres… Et je suis convaincue que pour sortir de l’impasse dans laquelle est notre société, il faut sortir de ce schéma, de cette vision où les uns dominent les autres… Pour moi, un des chemins à chercher, c’est : comment on fait ensemble avec plus d’horizontalité, même si on assume des endroits de verticalité ? Comment on ouvre des espaces où la parole de chacun.e compte ? Où chacun.e apporte quelque chose au groupe et où on essaie de sortir des relations de domination ? Cela fait partie des choses dans lesquelles je crois pour créer un autre chemin, plus fertile, plus subtil, un monde qui respecte plus l’humain et le vivant !